Tête du Colonel Rol-Tanguy sur double socle, 1946 @ Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti Paris +ADAGP, Paris) 2021

 

Pour la première fois à Paris et jusqu’au 30 janvier 2022, plusieurs portraits inédits d’Henri Rol-Tanguy, chef régional des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la région parisienne pendant la Seconde Guerre Mondiale, figure de la Résistance et de la Libération de Paris en 1944, sont exposés au musée de Libération – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin, au-dessus même du poste de commandement d’où il coordonna les actions pour libérer Paris de l’occupant allemand.
Les portraits présentés, une douzaine de dessins et dix-sept sculptures de petit format sont signées Alberto Giacometti.

 

Le « Libérateur de Paris »

Fonds Henri Rol-Tanguy. Photographies
Henri Rol-Tanguy dans le PC des FFI de la place Denfert-Rochereau, reconstitution après la Libération © Archives nationales, droits réservés.

 

Jean Rol-Tanguy se tient droit. Salué par Sylvie Zaidman et Michèle Kieffer, co-commissaires d’expo et respectivement directrice du Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin, et responsable du Comité Giacometti, il est invité à se tenir à côté d’elles pour saluer la mémoire de son père, Henri Tanguy, le « colonel Rol », alias Henri Rol-Tanguy.

Jean est ému. Il essaie de contenir le mouvement qui le saisit lorsqu’on lui demande d’où vient le nom de Rol, le dernier des noms de résistants pris par son père au début de l’année 1944. « Rol était le nom de famille d’un camarade des brigades internationales », avance-t-il. Théo Rol est parti avec lui en Espagne pour lutter contre le coup d’état fasciste de Franco en 1936 et a été tué dans des combats en 1938 . « Une expérience fondatrice » pour Henri rappelle Sylvie Zaidman.

Ouvrier métallurgiste, champion cycliste, militant communiste, permanent de l’union des syndicats des travailleurs des métaux CGT de la Seine, Henri Tanguy renoue en 1940, après la démobilisation, avec ses anciens contacts syndicalistes et entre en résistance.

Avec son épouse, Cécile, à ses côtés. Jean Rol-Tanguy, né en 1943, évoque les témoignages mentionnant sa mère poussant un berceau dans lequel elle a caché une bombe : « la bombe, c’était ma sœur, Hélène. Moi c’était les mitraillettes » s’amuse-t-il. Cécile Rol-Tanguy a été la marraine de guerre d’Henri, engagé en Espagne, avant de l’épouser en 1939 et de devenir son agent de liaison. Puis de taper sur la machine à écrire qu’elle avait descendu précautionneusement au poste de commandement, dans les catacombes, l’appel à l’insurrection des Parisiens le 19 août 1944 qu’il coordonne.

Le colonel Rol co-signe l’acte de capitulation allemande le 25 août 1944. Paris est libéré. « Rol-Tanguy » est un héros.

 

Dans l’atelier de Giacometti

Alberto, Annette et Diego Giacometti dans l’atelier, 1951 Photo : Alexander Liberman © Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti Paris+ ADAGP, Paris) 2021 Alexander Liberman © Droits réservés

Le héros et le sculpteur suisse se rencontrent un an et demi après la guerre, pendant l’hiver 1945-1946, à l’occasion de la préparation de l’exposition « Art et Résistance » au Palais de Tokyo.

L’Association des amis des Francs-Tireurs et partisans français (FTPF), la branche armée de la résistance communiste, a pour ambition de lever des fonds pour soutenir les familles des résistants tombés au combat et prévoit une grande exposition sur la lutte clandestine. La figure de Rol-Tanguy, le « Libérateur de Paris » est incontournable.

Le peintre et sculpteur Alberto Giacometti est sollicité par Louis Aragon pour faire son portrait.  Aragon et Rol-Tanguy sont militants communistes. Giacometti, même s’il ne cache pas ses sympathies, ne sera jamais membre du Parti. Mais il accepte ce travail de commande et entre de nouveau dans une dynamique créative.

Henri Tanguy pose quelques semaines dans l’atelier dénudé de Giacometti qui a repris ses habitudes en septembre 1945 dans son atelier parisien du 14e arrondissement. Le même depuis les années 20. « Un trou » remarque la mère de l’artiste, sans eau courante ni électricité. Le modèle pose sur des chaises inconfortables pendant des heures. « Il vous fouillait » littéralement la physionomie, de la tête aux pieds relatera Henri Rol-Tanguy.

Alberto Giacometti, Tête du colonel Rol-Tanguy, 1946, Plâtre peint @ Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti Paris +ADAGP, Paris) 2021

 

Sortiront de cette rencontre des dessins et une série de très petites figures en plâtre. Giacometti se focalise alors sur la miniaturisation des sculptures. « Un choix et non pas un travail sans réflexion » rappelle Michèle Kieffer. Pour « pousser les gens à se concentrer ». Giacometti développe alors une « véritable obsession » pour la figure. Il exprime justement son admiration pour la « très belle tête » de Rol-Tanguy dans une lettre qu’il adresse à sa future épouse, Annette Arm, en janvier 1946. En parallèle, le travail effectué sur le socle, toujours plus imposant, créé un effet de monumentalité.

Alberto Giacometti, Tête sur double socle c. 1946. Plâtre @ Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti Paris +ADAGP, Paris) 2021

 

L’exposition « Art et Résistance » a lieu du 15 février au 15 mars 1946. Trois cents œuvres y sont présentées. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. De grands noms de l’art y ont pourtant été associés : Pablo Picasso, Henri Matisse, Albert Marquet… Mais « une certaine noirceur » transparaît, explique Michèle Kieffer. Le souvenir de la guerre est trop prégnant, la presse n’est pas bonne. En définitive, on ne sait si la vente prévue a eu lieu mais on sait que Giacometti a exposé deux œuvres à « Art et Résistance ».

Lesquelles ? La responsable du comité Giacometti a une idée, une intuition : un portrait dessiné, très certainement, appartenant à une collection privée et une petite sculpture de 1946. On ne sait ce qu’il est advenu des autres portraits de la série, ni s’ils ont été vendus déplore-t-elle. Mais l’artiste poursuit son travail, même après l’inauguration de l’exposition. La production de Giacometti dépasse ainsi le cadre de la commande qui lui a été faite.

Brassaï, Sculptures dans l’atelier. 1947
© Succession Alberto Giacometti (Fondation Giacometti Paris+ ADAGP, Paris) 2021

 

Rol-Tanguy et Giacometti ne se rencontreront plus. A peine se croiseront-ils quelques années plus tard par hasard dans la rue.

 

Rol-Tanguy

Remise de la croix de la Libération par le général de Gaulle à sHenri Rol-Tanguy, 18 juin 1945
© musée de l’ordre de la Libération, droits réservés

Le nom de famille d’Henri Tanguy devient officiellement Rol-Tanguy en 1970. Officier de l’armée d’active, il reste sans affectation en raison de son engagement au Parti communiste à partir de la guerre froide et jusqu’à sa mise à la retraite, deux ans avant la date légale. Une décision incroyable alors qu’on connaissait ses « qualités de stratège » souligne son fils. Il s’éteint le 8 septembre 2002.
Sa veuve, Cécile Rol-Tanguy, témoignera alors en souvenir de « son grand homme ». Grand officier de la Légion d’honneur, elle décèdera le 8 mai 2020, à l’âge de 101 ans.

Un couple de militants engagés. De résistance. De résilience. Une vie. Une œuvre.
Jean a le sourire.


Repères

Henri Rol-Tanguy

12 juin 1908 : Henri Tanguy nait à Morlaix (Finistère).
1934-1936 : il s’engage dans l’action antifasciste et syndicale. Il adhère au Parti communiste français. Il devient permanent de l’union des syndicats des travailleurs des métaux CGT de la Seine en 1936.
Février 1937- novembre 1938 : il s’engage dans les Brigades internationales en Espagne.
1939 : Henri Tanguy épouse Cécile Le Bihan. Il est mobilisé à la déclaration de guerre
en septembre.
Août 1940 – juin 1944 : résistant au sein des organisations communistes, il devient responsable dans la lutte armée à l’été 1941, puis aux Francs-tireurs et Partisans (FTP). Fin 1943, il est versé aux FFI (forces françaises de l’Intérieur).
Juin 1944 : Henri Tanguy (colonel Rol) est nommé chef régional des FFI de la région
parisienne. Les Alliés débarquent le 6 en Normandie.
20 août 1944 : il installe l’état-major FFI régional dans l’abri de défense passive de Denfert pour coordonner l’insurrection parisienne.
25 août 1944 : Paris est libéré. Le colonel Rol est co-signataire d’un exemplaire de l’acte
de capitulation allemande.
Décembre 1945 : il est intégré dans l’armée d’active.
Mai 1947-1962 : dans le contexte de la guerre froide, il n’a plus d’affectation précise et est déplacé au Dépôt central des isolés à Versailles (Seine-et-Oise) jusqu’à sa retraite
(avec une affectation temporaire au Mans entre 1948 et 1951).
1964-1987 : il est membre du Comité central du Parti communiste français.
1970 : le nom de la famille devient officiellement « Rol-Tanguy ».
1994 : la grand-croix de la Légion d’honneur lui est attribuée, en plus de nombreuses
autres décorations.
8 septembre 2002 : Henri Rol-Tanguy décède à Paris.

Alberto Giacometti

10 octobre 1901 : Alberto Giacometti, fils du peintre postimpressionniste Giovanni Giacometti et d’Annetta Stampa, naît à Borgonovo en Suisse.
1922-1927 : il part pour Paris et fréquente l’atelier du sculpteur Antoine Bourdelle à l’Académie de la Grande Chaumière.
Décembre 1926 : il s’installe dans l’atelier du 46, rue Hippolyte-Maindron, qu’il occupera jusqu’à sa mort.
1932 : sa première exposition personnelle à Paris est organisée à la galerie Pierre Colle. Il se joint aux activités de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires.
1934 : sa première exposition personnelle à New York a lieu à la Julien Levy Gallery.
Décembre 1941-1945 : il quitte Paris pour Genève où il rencontre Annette Arm, qui deviendra son épouse en 1949.
Septembre 1945 : il retourne à Paris et retrouve son milieu artistique et littéraire.
1945-1946 : il réalise une série de portraits d’amis du monde des arts et des lettres, Louis Aragon, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Il crée de nombreux portraits d’Henri Rol-Tanguy, qu’il rencontre grâce à Aragon.
1946 : il expose un dessin et une sculpture de Rol-Tanguy dans l’exposition « Art et
Résistance » au musée des Arts modernes, il travaille sur deux commandes jamais
réalisées pour des monuments publics, hommages à Jean Macé et à Gabriel Péri.
Janvier 1948 : la première exposition personnelle d’Alberto Giacometti à la galerie Pierre Matisse à New York est organisée. D’autres expositions suivront en 1950, 1958, 1961 et 1964.
1951 : Giacometti inaugure sa première exposition personnelle à la Galerie Maeght à
Paris. D’autres suivent en 1954, 1957 et 1961.
1965 : trois grandes rétrospectives sont organisées à la Tate Gallery à Londres, au Museum of Modern Art à New York et au Louisiana Museum à Humlebaek au Danemark.
11 janvier 1966 : Giacometti décède à Coire (Suisse).

 

  • Photo de couverture : Alberto Giacometti © Succession Alberto Giacometti Fondation Giacometti Paris + ADAGP Paris 2021


En savoir +

  • Rol-Tanguy par Giacometti
    Une exposition organisée en collaboration avec la Fondation Giacometti, Paris.
    Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin
    4, avenue du Colonel Rol-Tanguy
    Place Denfert-Rochereau
    75014 Paris
  • museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr
  • Exposition du mardi au dimanche de 10 à 18 heures
    Plein tarif : 7 euros
    Tarif réduit : 5 euros
    Les visiteurs de l’exposition au musée bénéficient de l’accès au tarif réduit de 3 euros pour l’entrée à l’Institut Giacometti
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